


ASPECTS POLITIQUES DE L'ETHIQUE
Les art-thérapeutes comme tous les accompagnants de l’être, développent une pensée éthique qui marque la nature même de leur accompagnement et en fait donc intrinsèquement partie. Mais le système de valeurs qu’implique cette éthique pose en fait un projet politique.
En effet, en plaçant la créativité et la relation intersubjective au premier rang de la hiérarchie des valeurs, l’accompagnant en art-thérapie va à l'encontre de l'idéologie individualiste qui prévaut dans notre société et qui favorise la consommation matérielle. Il développe la capacité de susciter des situations nouvelles, des rencontres, l'intérêt de la relation, la quête d'un mieux vivre non plus par l’accroissement du pouvoir d'achat et des possessions matérielles mais par celui des capacités psychiques, relationnelles et inventives. Par son système de valeurs, l'éthique des accompagnants pose donc en fait un projet politique.
D'autre part, en invitant le sujet à se réaliser dans sa spécificité personnelle et développer sa créativité propre, l'éthique non seulement n'exclut personne mais ouvre au goût des différences. Il s'agit bien d'une laïcité ouverte fondée non seulement sur un respect authentique des différences, mais sur l'intérêt positif pour l'altérité qui permet la relation. Dans cette optique, la relation intersubjective ne fonctionne bien que dans une égalité de valeur favorisant la réalisation personnelle c'est-à-dire construite de différenciations et d'altérité. Cette égalité de valeur n'est donc pas l'égalité d'identité que prône l'idéologie contemporaine, laquelle tend à faire régresser dans la fusion, l’ambiguïté incestuelle ou le narcissisme excluant la différence, toutes attitudes favorisant l'oralité et le conformisme qui sont nécessaires au développement des comportements de consommation mondialiste.
L'éthique tout entière orientée vers la meilleure réalisation de la personne comme sujet unique et libre, contredit aussi l'idéologie scientiste dominante incluant la médicalisation des soins, qui considère l'homme comme un objet scientifiquement observable et techniquement guérissable. Nous ne méprisons certes pas les apports de la science en médecine et notamment en psychiatrie mais l'éthique de l’accompagnant invite à réhumaniser la vie et prendre soin de l'être, ce qu'un scientiste ne peut pas entendre.
Cette éthique se fonde enfin sur une implication, un engagement qui vise à faire passer la personne de l'état de victime passive ou demandeuse d'assistance à l’état d'actrice responsable créatrice de sa propre vie. Il ne s'agit plus de se plaindre mais de reprendre la gouvernance de soi-même et se réaliser selon sa propre forme d'être, ce qui va, là encore, à l'encontre de la culture dominante.
L'éthique de l’accompagnant se présente au fond comme une proposition d'écologie intersubjective et parfois subversive capable de contrer les maux de notre société. C'est en ce sens qu'on peut l'entendre dans sa dimension politique.
Yves Lefebvre