


LA CORNEILLE
Les barques sont immobiles, portées par l’eau calme.
Côte à côte, elles se serrent attendant silencieuses que les beaux jours reviennent.
Quelques mouettes en profitent pour y trouver appui.
Les barques rouges, blanc, bleues, ne résonnent plus des cris d’enfants, des baisers amoureux.
Jonchées de feuilles cramoisies, de jaunes terrassés, elles flottent fièrement comme une armée embusquée.
Soudain l’une d’elles se détache emportée au loin par deux cavaliers faisant fi des premiers jours d’automne.
Ne voit-elle pas cette passante que la corneille la suit ?
L’une marche et discute avec son compagnon, l’autre sautille et se pose prend appui sur un poteau tout prêt à la frôler de son ailes gris noire.
Qu’a-t-elle à lui dire qui ne puisse être entendu ? D’un geste sans appel l’oiseau est refoulé.
Mon attention divague.
Quand je lève les yeux c’est bien sur moi que le regard est jeté.
C’est alors qu’un autre oiseau se fraie un passage. A toute allure il slalome entre les arbres dénudés, lançant son cri perçant, joueur.
Ici une grand-mère, là un enfant la bouille jonchée de miettes sucrées.
Lui est vouté mais marche sans se soucier, encore un qui cours.
Mon amie la corneille est toujours là sur sa branche posée et veille à ce que rien ne m’échappe de toutes ces merveilles offertes.
Les couleurs de l’arbre sur la rive opposée me mettent à genoux. Rouge sang presque insupportable. Mon cœur bat fort dans ma poitrine.
Rien ne semble altérer l’encre de ma plume. Mes doigts endeuillés du vélo déraillé n’obéissent qu’aux sens envoutés.
Quatre non cinq mouettes au repos sur une barque ancienne abandonnée. Un oiseau élégant, longues pattes et cou interminable complète l’assemblée. Bec en avant on dirait qu’il s’apprête à plonger. Chacun retient son souffle, se tait.
Un homme a vu la scène et me bloque le passage.
J’en profite pour regarder ailleurs ne souhaitant pas m’attacher.
La corneille gris noire attaquée par un chien blanc noir. Deux canards s’envolent.
Il commence à faire froid.
Dans une tache de soleil déclinant le dos nu d’un homme se détache. Il s’étire.
La corneille a disparu et seules deux mouettes restent sur la barque ancienne qui tourne sur elle-même.
Sophie LAIZE-LURCEL