


Voici, comme nous l’annoncions dans la lettre du MAT précédente un premier texte écrit dans le cadre d’un groupe de l’Unafam réunissant des parents d’enfants malades psychiques. La diffusion de ce texte, et ceux à venir au cours des mois suivant donnent la parole à ces personnes dans un but art-thérapeutique, mais également dans un acte militant, afin que les dommages collatéraux de la maladie psychique, méconnus, puissent se donner à voir.
Chaque texte présenté révèlera le quotidien, cet intime douloureux que vivent ces parents. Si cet exercice d’écriture a vocation de soin dans le cadre de cet atelier, il est précieux pour nous, art-thérapeutes, car si riche d’enseignements. Merci de votre lecture.
Mylène Berger
Mai 2013 - Texte de Monsieur R.
Il y a 45 ans à l’approche du printemps nous attendions notre premier enfant. C’était un évènement attendu et désiré. Il n’est pas moins arrivé qu’il bousculait sérieusement nos habitudes.
Sur l’instant, nous avons goûté ensemble ce bonheur fou d’avoir un fils.
La bonne nouvelle s’est rapidement répandue dans l’entourage familial qui « applaudit à grands cris ».
Après quelques jours de congratulations et d’agitation autour du nouveau-né, le calme est revenu. Je me suis retrouvé seul quelques jours. J’ai alors pu laisser libre cours à mes pensées et réflexions lorsque j’étais libéré de mes occupations professionnelles.
J’ai ainsi réalisé véritablement que c’était une nouvelle étape qui débutait pour notre couple et pour moi en particulier. Nous étions désormais trois. J’étais désormais père. J’appréhendais cette responsabilité nouvelle. Je n’avais plus eu de père dès ma petite enfance et maintenant je le ressentais comme un manque de repère.
Mais il y avait quantité d’autres questions. D’autres pensées qui bouillonnaient dans ma tête. J’imaginais mon fils - ce bébé de maintenant – tout menu tout fripé – devenu grand et adulte engagé à son tour dans l’aventure humaine.
Tout de suite, j’avais envie d’être fier de lui et je formais le vœu que cette fierté demeure toujours. Il me semble que c’est un sentiment que tout parent éprouve généralement et qui est bien légitime.
Je souhaitais que le moment venu, il puisse choisir une activité dans laquelle il s’épanouirait pleinement et donnerait le meilleur de lui-même, compétence et qualité humaine.
Pour cela, je m’attachais à l’orienter vers des études longues susceptibles de lui donner le meilleur bagage possible. Pour autant, j’étais disposé à accepter tout choix qui ne correspondait pas vraiment à ce que je pourrais souhaiter.
Et puis, pourquoi ne pas laisser mon imagination s’évader vers d’autres moments pour mon fils ?
Bien entendu, à ce niveau c’est mon ego qui aurait été flatté. Mais il me serait agréable de le voir réaliser plus modestement ce qui pour moi avait été un rêve inaccessible.
Pour l’heure, tous les possibles s’offraient à nous. Nous avions le temps et l’énergie pour apporter notre contribution au devenir heureux de notre enfant.
Aujourd’hui, 45 ans plus tard
Mon fils n’a plus la force de vivre
Mon fils n’a plus l’envie de vivre
Mon fils est dans le plus grand désespoir.
Où sont mes rêves pour lui ?
Où sont ses rêves pour lui ?
Pourquoi ? Que s’est-il passé ?
Terrible déconvenue qui nous accable depuis bientôt trente années ! Lui, d’abord, nous, les parents, notre fille enfin née trois ans après son frère.
C’est en effet vers l’âge de 16 – 18 ans que les premiers signes ont été perçus. Comme un mal être qui s’installait en lui progressivement à dose homéopathique.
A l’insouciance de l’enfance et aux aspirations à dévorer la vie qui caractérisait souvent la période de l’adolescence s’est substituée une inquiétude, une peur, un malaise indéfinissable. Sa vitalité s’amenuisait, il devenait incompréhensible à son entourage. Il a peu à peu plongé dans la pire des solitudes. Cela évoque pour moi l’image d’un alpiniste qui aurait trébuché sur une arête de montagne, le voilà entraîné dans la pente raide. Il tente vainement de s’agripper aux rares arbustes placés sur son passage. Quelquefois, il réussit à stopper sa chute mais la glissade vers le fond se poursuit.
Y aura-t-il enfin un arbuste solidement enraciné pour reprendre espoir et permettre une lente remontée de la pente ?
C’est ainsi que je me représente les multiples tentatives, mises en place à des degrés divers par lui-même, les professionnels de santé, par nous-mêmes avec plus ou moins d’adresse, voir de maladresse.
Face à ce constat d’impuissance généralisée la tentation est grande de renoncer.
Pourtant, je voudrais continuer à y croire. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir dit-on. Il n’est pas possible de laisser place au renoncement.
Mais serait-il possible que sa vie se poursuive débarrassée d’une moitié de cette souffrance pour y mettre un peu d’apaisement. C’est un vœu que j’adresse à qui veut l’entendre et le combler.