L'AMBIGUITE DE L'ECOUTE
Dans la psychanalyse comme dans l'art transformationnel ou l'art thérapie, il y a une attitude d'écoute le plus souvent non interventionniste qui produit des effets sur la personne ainsi écoutée. Mais de quoi s'agit-il ?
J’ai donc regardé dans le Dictionnaire de l’Académie française ce qu’on disait de l’écoute et j’ai trouvé trois sens principaux :
Tout d’abord, comme tout dictionnaire vous le dira très logiquement, l’écoute c’est l’action d’écouter. Donc, l'écoute de l'accompagnant qui paraît plutôt passive ou non interventionniste serait en réalité une action. Une action qui demande de l’énergie et qui produit quelque chose comme toute action. Voilà une première ambiguïté de l’écoute inscrite au cœur de la définition la plus banale du mot, la synergie entre une attitude d’accueil non active puisant au féminin de l’être, et une attitude de structuration active puisant au masculin de l’être.
Ensuite, 2° sens du mot, l’écoute était autrefois un lieu d’où l’on pouvait entendre sans être vu. Les professeurs de la Sorbonne se retrouvaient parfois dans l’écoute d’où ils pouvaient entendre les querelles idéologiques des étudiants en train de débattre, sans être vus. Il y avait aussi des écoutes dans certains monastères, une petite pièce où le père abbé se tenait parfois à l’insu de ses moines pour entendre ce qu'ils disaient. Ce mot vient du vieux français escoute qui signifiait espion ; mot passé en Angleterre et appliqué aux éclaireurs de l’armée, scouts d’où est issu le scoutisme qui développe les qualités d’observation et de débrouillardise des éclaireurs. Tout cela pour souligner une autre ambiguïté de l’écoute toujours plus ou moins teintée d’espionnage, fut-ce pour la bonne cause. L’écoute va donc nous poser des problèmes éthiques. Qui est habilité à écouter, qu’est-ce qu’on peut se permettre d’écouter, jusqu’où et pourquoi ? Doit-il y avoir réciprocité entre l’écouté et l’écoutant comme font les amis ou bien l’écoutant professionnel que nous sommes auprès des personnes que nous accompagnons dans le cadre de votre fonction doit-il ne rien révéler de lui-même et rester dans un rôle comme s’il n’était pas impliqué, alors que l'écouté révèle tout de lui ? Où doit-il s'écouter en même temps qu'il écoute, pour entendre d'abord quelque chose de son contre-transfert, par exemple en réalisant une œuvre en même temps que la personne accompagnée réalise la sienne ?
Mais n'oublions pas le troisième sens du mot, une écoute, pour les marins, c’est un cordage qui sert à orienter une voile. Troisième ambiguïté, l’écoute apparemment aussi accueillante et neutre soit-elle, oriente toujours la personne écoutée. Sait-on pourquoi nous l’orientons et vers quoi ? A-t-on conscience de ce que la nature de notre écoute peut induire chez l’écouté ?
Jetant alors un coup d’œil au dictionnaire étymologique, je vois qu’écouter vient du latin auris, l’oreille, ce qui peut nous inviter à tenir compte de la biologie, de la présence du corps dans l’écoute, celui de l’écouté comme celui de l’écoutant, qui par sa posture, sa détente ou sa contraction va changer assez fortement la qualité de l’écoute et ses effets.
Auris a donné naissance à un autre mot, audire, entendre. Peut-on écouter sans entendre c’est à dire sans chercher à comprendre, sans analyser ? Autre ambiguïté de l’écoute où viennent interférer nos propres grilles de compréhension, avec leur effet réducteur ou enfermant, ou bien le jugement, le classement dans une case étiquetée à laquelle la personne écoutée va chercher à se conformer selon le fameux effet Pygmalion bien connu des pédagogues. Auris a également donné oboedire, obéir. A quoi obéit-on vraiment quand on fait profession d’écoute ? A nos peurs, à notre curiosité, à un certain voyeurisme, à notre besoin d’être aimé et apprécié, à notre besoin de réparer autrui selon le fantasme du sauveur, au désir de l’autre qui peut nous utiliser pour entretenir la jouissance secrète de se vivre comme victime... ou encore au commandement divin : « shema Israël, écoute Israël le Seigneur ton Dieu l'Un » c'est-à-dire écoute l'Être au fond de toi et de l’autre ?
Yves Lefebvre