




COURREZ VOIR « PINA »
Film de Vim Wenders, réalisé en hommage à Pina Bausch danseuse et chorégraphe allemande.
Pina disait: « dansez, dansez, sinon nous sommes perdus, dansez pour l'amour ».
Pina voyait avec les yeux de son esprit, l'or contenu dans chacun de ses danseurs. Elle les regardait de telle manière qu'ils extrayaient la plus pure des grâces, la plus rare des fougues. L'insolite mouvement avec la précision d'un orfèvre est effectué dans sa quintessence légère ou brulante.
Est ce la grâce d'une biche, de la rose nacrée qui déploie ses pétales ou tout simplement de cette femme qui ondule dans l'eau?
La fulgurance de l'éclair, l'intensité de sa lumière, la force de son tonnerre ou l'intention de, poétiquement, se livrer corps et âme sur cette scène aquatique?
Chute, rebondissement....
« Elle me tirait par les cheveux pour m'élever » témoigne une de ses danseuses.
Et ce duo absolument superbe, à couper le souffle, cette femme vêtue d'une somptueuse robe longue, noire et translucide fleurie de rouge carmin, qui avance pieds nus dans l'herbe, comme folle, dans un mouvement mécanique et mort. Cela nous fait horreur, elle se laisse tomber, statue démontée, en avant, horizontalement. Au dernier, dernier instant avant que le sol ne fracasse son corps, l' homme la rattrape doucement, élégamment, et la replace dans sa verticalité. Cette femme semble être destinée à chuter encore et encore, et l'homme à la rattraper avec une infinie régularité. Mouvement sans fin.
Le sacre du printemps de Stravinsky. Rarement je n'ai vu pareille osmose des corps dansant l'attirance/répulsion du féminin masculin.
Dans une sincérité profonde, la danse, coulée de lave débordant de l'antre des danseurs, s'offre généreuse et totale, acte créateur, sidérant de beauté.
Pina disait « cherche, continue à chercher ». Elle même passait tout son temps à chercher, créer, inventer des lieux, tel ce tunnel obscur, cette usine immense traversée de tuyaux, canalisations, sur l'esplanade de laquelle danse une femme, sur pointes, pendant de nombreuses minutes comme une étoile lasse.
Et puis ces chariots de mine qui traversent l'espace des danseurs , incongrus, ou les tramways rouge vif suspendus comme dans un film de science fiction.
Le monde de Pina est décidément une surprise permanente.
Certains des danseurs ont des visages fracassés par la vie et leurs corps exultent à danser dans ces cathédrales végétales, ces espaces immenses et blancs fracturés de lumière crues, géométriques, découpés sur l'infini ciel bleu.
Sur la crête d'un désert, scène hallucinée, que l'on imagine arizonien, ils serpentent inlassables et souriants. Vêtue de longues robes chatoyantes et ondulant dans la lumière, la beauté des corps des femmes est multicolore, tandis que les hommes sont dorés dans l'élégance de leurs complets vestons.
Pina aimait les éléments, les roches, l'eau, la terre, les couleurs, les mousselines fraîches et fleuries, les pieds nus ou chaussés d'échassiers. Elle laissait les longs cheveux des femmes claquer ou tournoyer comme des algues. Elle aimait l'humour, la joie, l'infinie tristesse, le désespoir des corps plaqués contre les murs.
Son corps est décharné comme ceux des ombres d'Auschwitz... Elle naquit en 1940, en Rhénanie...
La Shoah aurait-elle eu sur elle l'effet terrible d'une horreur à perforer?
J'ai pensé à Charlotte Delbo, écrivain, rescapée de Birkenau, qui dans ses bris de mots crie:
Je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d'être habillés de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie.
Extrait de « prière aux vivants pour leur pardonner d'être vivants ».
Françoise Poulnot