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La légende d’Eugène 

La légende d’Eugène 

Eugène est une âme en peine, l’air éteint, le regard vide, assis au bord d’un étang, il caresse la surface de l’eau…. Sautera, sautera pas, sautera, sautera pas. 

Un inconnu vient à passer, il ne lui faut pas longtemps pour pressentir ce qu’il se dessine : «  Eh ! Holà, l’ami, que fais-tu donc ?  Es-tu si impatient d’aller rejoindre la « Grande Fin » ?. » 

L’inconnu se rapproche et dit : « Libre à toi de choisir ton destin, mais avant d’y mettre fin, écoute au moins ce que je pourrais te dire… ensuite, je continuerai mon chemin. » 

Eugène hausse les épaules, et lève enfin les yeux sur ce personnage aux allures mystérieuses. 

« Si, tu te trouves au bord d’une route qui ne mène plus nulle part et n’as plus que le chaos du néant pour paysage, rien ne t’empêche de te réinventer… » Il prend un bâton jonché sur le sol et se met à dessiner des monts, des vallées, dans un mouvement de bras d’une grande légèreté… « Si ta vie n’a plus aucun relief, dessine-la… » Et sous ses traits, l’informité en bataille  des grains de terre et  la poussière, épousent de nouvelles lueurs. L’étranger continu : « Si ta peine est trop lourde et ralentit tes pas…crie-la… le vent l’emportera…sa force te portera…» « Si tes larmes étouffées, n’osent pas couler… pleure les… la pluie les lavera » « Enfin si ta gorge est nouée, et que tes mots ne veulent plus sonner, chante-les, le ciel, la mer, la terre, tous vont t’écouter… » 

L’inconnu sourit à Eugène et reprend sa route.

Eugène, reste là comme au sortir d’un rêve, il n’est pas sûr d’avoir compris,  tout lui évoque un nouveau langage. A la vue de ces paysages ressemblant à ceux de nulle part ailleurs, Eugène a envie d’en emprunter les chemins. Comme mu par une force invisible, son corps se redresse, à l’image de la plante qui se déroule lentement vers le ciel. Il veut dire merci, mais l’homme a déjà disparu, et quand il ouvre la bouche, une note s’échappe…puis une autre…encore une autre….A sa grande surprise, il découvre des sonorités ignorées de lui-même, par lui-même. Il ne réfléchit plus, ne pense plus et se laisse surprendre par cette inconnue vocale, étrangement familière….. Il se met à chanter Eugène, et sa voix n’en finit pas de se détendre et de s’étendre jusqu’à ouvrir devant lui, les voies du ciel et de la terre…Ces chemins intracés, mais où la moindre pierre a l’importance d’une grande minutie. 

Il se met à marcher Eugène, et ses pieds semblent lui dire qu’ils sont heureux de ne plus être oubliés. Il ose même danser ! Eugène… Il se laisse porter par cette douce euphorie qui lui murmure à l’oreille, qu’il a encore le temps…

Et c’est en chantant qu’Eugène arrive au village. Ahaaaaa…

Aussitôt comme par magie les gens se regroupent autour de lui pour l’écouter chanter. Il chante la peine, il chante la vie, il chante les pleurs, il chante les heurts et la torpeur. Il chante le jour, il chante la nuit, il chante sa joie nouvelle… Les gens lui offrent le gite et le couvert juste pour le plaisir de l’écouter. Ils vont même jusqu’à se disputer le privilège de l’accueillir.

Et c’est ainsi qu’Eugène devient le troubadour dont tout le monde attend avec impatience le retour. Il chante toujours plus haut, Eugène, il chante toujours plus beau, il chante le parfum et les délices, le matin, une cicatrice, les chagrins de nos caprices… Il chante la vie… Les gens se reconnaissent dans ses chansons, il y en a même qui disent : Mais c’est de moi qu’il parle ! Et il chante Eugène, encore plus haut, encore plus beau, il n’a plus jamais faim, il n’est plus jamais seul… Il traverse des villes et des campagnes, des bourgades aux cent visages, des contrées aux mille paysages. Son attente le précède, et il sème sur son passage un vent de vérité sur les couleurs et  leur beauté. 

Le temps défile  jusqu’à ce jour, où, les gens inquiets de ne plus voir ni entendre Eugène, partent en quête du poète. On s’interroge, on le cherche, on questionne, rien n’y fait, point d’Eugène. Les seigneurs des alentours et des lointaines vallées s’entendent à la création d’une délégation, missionnée à retrouver Eugène, le silence de son absence ayant assez duré. 

La délégation parcourt toutes les villes et les villages, proches ou éloignés, les monts et les vallées, elle ira même dans les pays voisins ! Force est de constater qu’Eugène a disparu. Elle décide d’aller consulter l’hurluberlu qui vit au fond de la grande forêt, là où même les plus courageux n’aiment pas s’aventurer. L’hurluberlu, ne l’a pas vu, il dit même n’avoir rien entendu. Et c’est déçue que cette délégation repart à la recherche de son cher disparu. 

Déçue !  Mais pas encore découragée la délégation, pense à la grande prêtresse « Mamagessaitou » qui vit dans une grotte, tout là-haut dans la montagne, sur le pic que l’on appelle la dent du monde, un endroit entre ciel et terre, où seules les âmes bien intentionnées peuvent s’y voir invitées. A leur arrivée, « Mamagessaitou » les accueille dans le silence et les invite à s’asseoir. Elle sait pourquoi ils viennent la voir. Elle veut juste leur raconter la fin de l’histoire. 

 Elle raconte : « Il sera une fois, un homme prénommé Eugène, qui parce qu’un jour, il a voulu la rencontrer, a parcouru le monde entier. Grâce à son désir prématuré il n’a pas pu être plus vivant. Quand le moment fut venu pour Eugène d’emprunter l’unique chemin, celui dont personne ne revient, il était prêt… Elle était là majestueuse dans toute sa grandeur, elle l’attendait…. Quand il l’aperçu, il a souri et s’est mis à chanter, la légende dit même qu’il lui a tendu la main. Il me plaît à croire, dit « Mamagessaitou » que la « Grandefin »  émue par le chant d’Eugène,  a laissé couler une larme, échappée sur sa joue… Mais ça la légende ne nous le dit pas. Ce que je sais en revanche, c’est qu’à cet instant-là, grâce à Eugène, La Mort, ne s’est jamais sentie aussi belle… » 

Sandrine Massa

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