« La foi au miroir de la psychanalyse » de Yves Lefebvre
Le komboloï est une sorte de chapelet laïc, inventé par les grecs, depuis la nuit des temps. Seuls les hommes l’utilisent, il reste par excellence un symbole du viril. Il ne leur sert pas à prier, ni même à méditer. Ils le font tourner sur leurs doigts dans un sens, puis dans l’autre, de façon à ramener les perles au creux de la main et ils recommencent – en boucle. C’est un geste de prestidigitateur à la fois précis, élégant et gracieux. Le rythme dépend de leur humeur : il est extrêmement rapide et saccadé, quand le sujet de la conversation est la politique ou le football, il peut aussi être lent et rêveur, quand on parle de l’âme, de la vie, de la condition humaine. D’après la légende, jouer du komboloï est un très antique exercice de sagesse, qui servait à ne jamais perdre le contact avec la complexité des choses : chacune des petites boules représenterait un aspect de la vérité, dont on doit se saisir en douceur, pour ensuite les rassembler, en totalité, au creux de sa main – brièvement, bien sûr, car la vérité pour l’homme est essentiellement mouvance.
La foi au miroir de la psychanalyse, le livre, préfacé par Bertrand Vergely, qu’Yves Lefebvre vient de publier aux éditions Salvator ressemble à un komboloï : chacun de ses chapitres nous fait toucher du doigt un aspect de la vérité, qui au final, viendra se nicher au creux de notre être.
Son propos est de confronter, à la pensée psychanalytique, présentée dans toute sa richesse et sa diversité, les erreurs et les errances des différentes églises chrétiennes, mais aussi la profondeur et la puissance, l’originalité foncière de la pensée théologique. Ce sujet a été traité plusieurs fois déjà, mais, le plus souvent, de façon assez partisane : l’auteur avait une conviction à imposer, une croyance à justifier… Yves Lefebvre s’en tient, sans passion aucune, à la clarté et la rigueur d’une démarche philosophique. Le résultat est un livre dense et lumineux, qui brûle de très anciennes idoles et brise des tabous particulièrement têtus – un livre novateur, écrit dans l’élégance et la précision – avec grâce.
Si c’était un komboloï, ce serait un de ceux qui sont faits avec de grosses boules d’ambre, bien polies : les plus précieux.
Danièle Dézard