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LA FABULOSERIE

LA FABULOSERIE

La Fabuloserie, c’est l’histoire d’une rencontre, l’histoire d’une passion, celle d’Alain Bourbonnais, architecte, peintre sculpteur, collectionneur qui pendant trente ans a sillonné la France profonde à la rencontre de tous ces créateurs indemnes de culture artistique. Il disait : « Tout ce qui imite, obéit aux règles, se coule dans le moule me répugne ! Inventer, chercher, expérimenter, jouer, insulter : voilà qui me convient ! » et soudain grave, il ajoutait : « la dérision fait réfléchir les hommes sur le monde qu’ils ont construit, je la vis comme une sublimation, un exorcisme »

Musée passion, il vous enchante ou vous agresse, il ne laisse personne indifférent.

Alain Bourbonnais commence sa collection dans les années 60 sans rien connaître de Dubuffet. C’est en 1971 qu’il apprend que ce dernier va donner sa collection à la Suisse. Il le contacte, le rencontre rue de sèvres et fait le projet soutenu par Dubuffet d’ouvrir un espace à Paris l’atelier Jacob qui débutera un an plus tard par une exposition Aloïse.

L’atelier Jacob sera pendant 10 ans le seul lieu à « montrer » de l’art brut. Mais ce terme art brut est revendiqué par Dubuffet, il convient donc de trouver une autre appellation, qui deviendra « Hors les normes », en accord avec lui, pour éviter toute confusion.

C’est en 1983 dans sa maison de campagne à Dicy dans l’Yonne qu’Alain Bourbonnais ouvre la Fabuloserie. Pendant trente ans, il a rassemblé des œuvres de créateurs totalement inconnus, tous bricoleurs, bricoleurs de leurs rêves, à partir de matériaux de rebut, d’objets ayant déjà servi, jetés, trouvés.

Cette maison de campagne lui a permis d’ « ouvrir les vannes »… Le contrepoint à sa vie professionnelle a dit un jour Caroline Bourbonnais, son épouse. C’est vrai que c’est là qu’a vu le jour la Tribu des Turbulents, dont la « mère Célestine » ne mesure pas moins de 3 mètres de haut. Ainsi fut créé, de nouveau avec l’adhésion de Dubuffet, « un anti-Beaubourg décentralisé, une puissante citadelle du Marginal, de la création libérée du conditionnement naturel de l’Atelier Jacob ».

Alain Bourbonnais décède en 1988. Ainsi, depuis plus de 20 ans, Caroline Bourbonnais, son épouse, continue de faire vivre ce lieu insolite, désormais connu dans le monde entier. Régulièrement des œuvres partent pour des expositions en France, en Europe. C’est avec dynamisme qu’entourée de son équipe, elle accueille les 16 000 visiteurs annuels.

Noëlle Mesureur : Comment allez-vous Caroline ?

Caroline Bourbonnais : Bien, très bien. Nous avons des félicitations pour la qualité de notre accueil. Nous nous questionnons sur notre rôle ? Avons-nous un rôle d’ailleurs ? Dans les débuts, nous nous sommes inventés un deal sans savoir si ça allait marcher. Puis les temps ont changé, les gens sont furieux de ce qui se passe dans la vie, du manque de liberté, de la télé, ils sont devenus consommateurs. Lorsqu’ils sortent de la Fabuloserie, ils sont autres. Ils trouvent l’endroit merveilleux, une humanité et une « nourriture ». Et je constate que si on donne, on reçoit, et comme ils reçoivent, ils donnent », c’est le miroir.

NM : L’histoire de petit Pierre, rencontre un succès international : Ce garçon vacher, né handicapé, sourd et muet, par sa capacité à rêver, inventer, imaginer a construit jour après jour, un manège composé de sujets animés qui représentent toute sa vie à la ferme. Manège fait uniquement de matériaux de récupération. De sa vie, il a fait une œuvre fabuleuse, lui rejeté, mis au ban de la société.

Petit Pierre a été joué à Beyrouth le week-end dernier et en Chine, il y a 2 ans. Qu’est-ce qui résonne ?

CB : Les gens viennent trouver des forces de vie. Dans les visites chez petit Pierre, les hommes ont la larme à l’œil, c’est très fort, ils sont touchés.
J’ai l’impression de servir à quelque chose. Et grâce à petit Pierre, c’est une leçon d’humilité. Récemment un film a été tourné ici pour les mal entendant, film reconnu par l’éducation nationale. C’est au-delà de ce que nous pouvions désirer. Et ils nous ont appris le langage des signes, c’était une révélation.

NM : C’est une ouverture pour vous ?

CB : Oui vraiment. Egalement deux colloques ont eu lieu ici. Un questionnement a surgit : Comment doit-on créer un musée d’art brut ? Il est ressorti que ce lieu doit être une accumulation et que la Fabuloserie reflétait totalement cette conception. Michel Ragon a exprimé un jour qu’Alain Bourbonnais faisait de l’anarchitecture.

Il parlait des turbulents, il a fait fi de ce qu’il connaissait, lui qui était architecte. Ces personnages animés, d’une infinie variété de couleurs et de forme, construits à partir d’objets de récupération expriment tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. C’était sa tribu. Les turbulents d’après lui sont contre l’angoisse, le pessimisme, le dégoût, le mécontentement, le nihilisme. Au contraire, c’est le bonheur de vivre, c’est le courage d’être heureux, c’est la vitalité, le délire, la liberté.

Et ce qui veut dire pour moi que c’est extraordinaire de vieillir avec un certain contentement. C’est l’accomplissement.

Lorsqu’Alain Bourbonnais est décédé le manège de petit Pierre n’était pas monté, Caroline Bourbonnais a eu cette responsabilité énorme.

CB : Si j’avais réfléchi, je ne l’aurais pas fait. C’était l’émotionnel qui parlait. Lorsque j’ai exprimé, il y a quelques années que c’est Alain Bourbonnais qui m’a faite, les femmes ont réagi. Mais voilà, j’étais prête et j’ai trouvé l’étincelle, accompagnée de tous ces bénévoles qui ont remonté le manège.

C’est un étonnement aussi car vous êtes là toujours en avant. Cette collection a été constituée lorsque personne ne prêtait attention à cette forme d’art. Il faut avoir le courage de vivre à contrepied. Nous aurions pu passer à côté or maintenant l’éducation nationale vient ici. D’ailleurs le public fait la démarche de venir ici en pleine campagne.

NM : C’est un lieu puissant.

CB : Il y a l’humanité ici. Je ressens de par mon âge, une facilité relationnelle. Je parle plus librement parfois de façon bonhomme, manière de faire tomber les barrières.

NM : Et de partager.

CB : Avoir un lieu où les gens ont créé avec leurs tripes, c’est le moment d’être ce qu’on est. On n’a plus à avoir de béquilles mais une certaine humilité. Ces gens ont créé en toute humilité alors qui sommes-nous ? On gagne en humilité, en contact, on est là. Simple.

Propos recueillis par Noëlle MESUREUR

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