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Documentation

La parole est donnée – texte d’Espérance

La parole est donnée – texte d’Espérance

Un travail d’écriture a été proposé à des parents d’enfants malades psychiques réunis au sein de l’Unafam dans le cadre d’un groupe d’art-thérapie. Ce témoignage qui vous est donné à lire  nous est précieux car il nous montre comment l’angoisse de son enfant s’exprime et peut donner l’alerte d’une crise à venir. Il nous dit également comment une mère que nous appellerons ici Espérance, peut-être traversée par des sentiments opposés, oscillant entre compassion et harcèlement. A côté de ce texte, l’illustration que cette même mère a dessinée dans un exercice tentant d’exprimer ses possibles dans une vie où la maladie psychique prend tellement de place. Là, ce possible prend la forme d’un désert, d’une vie sans harcèlement ?

Pour plus de précision, j’ajouterai que l’enfant malade psychique d’Espérance souffre de Microdélétion 22 Q 11 ou syndrome de DiGeorge. Dans ce cas, la maladie psychique développée via ce syndrome n’est pas traitée de la manière habituelle et nécessite une médication précise.

Mylène BERGER

Janvier 2014 – Texte de « Espérance »
Les SMS

Bip, bip, il est 7 h 30, premier sms de la journée : « Coucou, je suis réveillée, j’ai peur pour aller au marché, j’espère que je vais réussir. »
Bon, la journée commence. Petit mot d’encouragement.
Une demi heure plus tard, bip bip : « Il faut que je me lave les cheveux, je les ai déjà lavés hier, ça me fatigue. »
Rien de grave ! Je ne réponds pas.
Un quart d’heure plus tard, bip bip : « Je suis contente j’ai perdu deux kilos ».
Je suis occupée, je la féliciterai à l’occasion. Et puis en soupirant je pense : si je ne réponds pas, elle va peut être se lasser.
Quelques minutes plus tard, bip bip : « J’ai mis une lessive en route, tu crois que je peux la laisser pendant que je suis partie, ça ne risque rien ? »
J’ai répondu cinquante fois à cette question, mais je sens qu’elle est angoissée, alors je me force à répondre.
Cela a dû l’encourager ! Aussitôt, bip bip : « Hier soir à la télé, la première chaîne ne marchait pas, vous me direz quand vous pourrez venir ? »
Excédée, je réponds ok.
Et je reprends mes occupations.
Mais le téléphone sonne. Les sms ne suffisent plus, ça ne va pas, elle demande si elle peut prendre tel médicament avant de partir.

Non les sms ne viennent pas d’une enfant ou d’une adolescente, ma fille est adulte. Si elle n’était pas malade, elle pourrait comme sa sœur m’appeler le dimanche pour avoir des nouvelles, me raconter sa semaine, me parler de ses enfants. Mais pour elle, le quotidien c’est tout autre chose : peur, angoisse, fatigue, médicaments, rendez-vous médicaux fréquents. Elle ne peut plus travailler. Une sortie, un rendez-vous, rester seule, s’organiser, tout lui pose problème maintenant. Je l’entends bien dans ses messages : « Je ne sais pas si je vais arriver à prendre le bus ce matin », « j’ai peur pour le dentiste demain », « mon ordinateur fait du bruit, il ne va pas exploser ? », « Je dois partir à quelle heure pour être à temps chez le médecin ? », « ce matin j’étais trop angoissée je n’ai pas pu prendre le bus, j’ai annulé mon rendez-vous »…

Je ne suis pas la seule à recevoir ses sms. Mais les unes après les autres ses amies se lassent. Quelquefois je lui dis : « Il ne faut pas m’en envoyer si souvent ». Mais c’est plus fort qu’elle.
Par moments je n’en peux plus d’être si souvent dérangée, ne va t-elle pas me laisser un peu tranquille ?
Mais quand elle va trop mal, il faut bien qu’il reste quelqu’un à qui elle puisse le dire. Je ne sais pas toujours quoi répondre, devant tant de souffrance. J’écoute, j’encourage, je conseille… Si ma compassion a le pouvoir de l’apaiser un peu, alors malgré tout, vive les sms.

Oui vive les sms, mais depuis que j’ai commencé ce texte ma fille a été à nouveau hospitalisée. Mes réponses, ma compassion n’ont pas été suffisantes. Elle disait vouloir en finir. Sur le moment j’ai ressenti une grande colère, je me suis sentie manipulée car je venais de lui refuser quelque chose. Ma colère est vite partie. Je me dis que ma fille n’est plus elle-même, c’est sa maladie qui gouverne ses pensées. Ce qui est le plus terrible pour moi c’est d’être face à mon impuissance, malgré ma volonté de lui venir en aide, je suis impuissante. Et c’est insupportable.
Je viens de lire dans « une journée particulière » de Anne Dauphine Julliand : « quand on croit ne plus pouvoir rien faire, il reste encore l’amour. »
Je vais essayer de m’en souvenir lorsque je serai découragée, quand par exemple j’aperçois une petite lueur d’espoir et que le lendemain tout semble à nouveau très noir. Etre là tout simplement, le plus aimante possible. Alors oui vive les sms !

Espérance

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