Le Mouvement d'Art-Thérapeutes Logo horizontal

Documentation

peinture

“LE BEAU N’IMPORTE QUOI » DE REJANE

“LE BEAU N’IMPORTE QUOI » DE REJANE

Réjane est venue dans un atelier pendant deux ans. Elle a la soixantaine, rien de particulier dans son allure, dans son attitude, c’est une dame aux cheveux gris, toute simple.

Si, peut-être une différence, une inquiétude dans le regard, elle me scrute. Je la sens plus inquiète que les autres. Il ne faudrait pas grand chose pour qu’elle s’en aille, quitte l’atelier. Sa présence est fragile.

C’est nouveau pour elle, inhabituel, elle a peur, peur de ne pas savoir, peur de devoir raconter, peur de créer…

Si les gens de l’association ne l’y avaient pas poussé, elle ne serait jamais venue ! Toute une vie centrée sur la gestion du quotidien, l’entreprise des parents d’abord, puis les enfants, la maison, l’entreprise du mari…

Elle n’aurait pas songé à aller chercher un lieu de thérapie. Pour quoi faire ? Et faire de l’art ? Encore moins ! Elle aurait certainement dit « Pas de temps à perdre et ce n’est pas pour moi ! »

Mais maintenant elle est là, dégagée de ses responsabilités et contraintes d’avant, elle a du temps, alors elle s’est dit pourquoi pas…

Réjane commence à créer dans l’atelier et progressivement elle chemine… des traits, des couleurs, des traces, des formes, quelques mots posés ça et là et l’émergence d’émotions, de larmes, de doutes, de rires, de la colère… et tout cela discrètement, sans éclats, sans bruit, mais là quand même…

Réjane est assidue, je la vois bouger doucement. Elle dit d’abord timidement et insatisfaite “Je fais n’importe quoi”.  Au fil des semaines elle le dit toujours, mais différemment, le ton a changé et s’accompagne d’un sourire indulgent.

Puis le n’importe quoi se transforme en « Je fais du beau n’importe quoi ! ». Elle assume ses créations, elle prend plaisir à créer, à être là.

Avec Réjane je voyage dans le temps. Son visage change, ses yeux s’éclairent, passent d’une expression à une autre. Derrière la petite dame aux cheveux gris, je vois parfois apparaître l’enfant, la petite fille, l’adolescente, la jeune femme. Elle a quatre ans, puis treize, vingt, quarante… elle a tous les âges.

Et je me prends à penser avant qu’elle arrive « Quel âge aura-t-elle aujourd’hui ? »

Je perçois dans ses gestes, ses regards, ses créations, une tendresse particulière, un peu enfantine, naïve, qui semblait être masquée à son arrivée, mais à peine, par des choses et d’autres…

Réjane s’est laissé aller simplement dans ce travail comme elle est arrivée, comme elle est, pas compliquée.

J’ai eu une sensation de fluidité dans ce parcours, de facilité et je me suis dit, parfois c’est difficile, ceux que j’accompagne peinent et moi aussi… Mais là pas vraiment. Les choses se sont posées là, sereinement, comme un ruban de soie qui se déroule doucement.

Réjane dit : “J’ai appris à être moi-même, à m’aimer…”, rien que ça…

De mon côté, j’ai vu émerger de cette dame émouvante, ce qu’elle essayait de cacher… sa tendresse, pour ses enfants, ses petits-enfants, pour son jardin, ses fleurs et enfin pour elle-même.

Fabiola Harlon-Goffredi

Arrière plan jaune
Arrière plan bleu